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"Je me retrouvai dans une forêt obscure"   (2011 - 2017)

« Au milieu du chemin de notre vie,

je me retrouvais dans une forêt obscure

dont la voie droite était perdue. 

Ah! Qu'il serait dur de dire
combien cette forêt était sauvage
et âpre et difficile
que la pensée en renouvelle la peur !
»

Dante, L'Enfer, Chant 1.

Que nous dit aujourd'hui la Divinе Comédie de Dante, écrite au début du 14e siècle? En quoi continue-t-elle de nous émouvoir, de nous  interroger sur nos émotions, nos peurs, nos inquiétudes, nos élans aussi ?

En quoi suscite-t-elle en nous des échos particulièrement sensibles en notre époque d'incertitudes et de violence, où nous ressentons, peut-être de façon plus aiguë qu'à d'autres, le sentiment de nous être égarés, de ne plus savoir où nous allons?

Ne nous sentons-nous pas un peu perdus nous aussi aujourd'hui?

Telles ont été les questions que je me suis posées en peignant et en dessinant un ensemble narratif  de peintures, dessins, monotypes à l’encre, inspiré de Dante et des Métamorphoses d'Ovide, entre 2011 et 2017.

Ces toiles racontent aussi des histoires d’états d’âme, -  les miennes face à la toile. Je me retrouvai dans une forêt obscure est aussi un journal intime de mes doutes, de mes angoisses, de mes déchirements, de mes élans et de mes désirs, comme des peintures et des textes qui m'ont inspirée et ont nourri mes images.

 L'entrée dans la forêt obscure (2015-2017)

Dante, Enfer, Chant 1

« Au milieu du chemin de notre vie

je me retrouvai dans une forêt obscure

dont la voie droite était perdue.
 

Ah ! que la retracer est un pénible ouvrage,
Cette forêt épaisse, âpre à l'œil et sauvage,
Et dont le seul penser réveille mon effroi !

(…)

Voici que sur ma route à peine commencée
Une panthère accourt, svelte, agile, élancée ;

(…)

Et puis c'est une louve affamée et qui semble
Porter sous sa maigreur tous les désirs ensemble.
Déjà de bien des gens elle fit le malheur. »

 dans une forêt obscure détail  2018.JPG

Enfer, Chant III, 82 – 86 : Charon

« Et voici que vers nous, sur une barque

vint un vieillard au poil blanchi par l’âge,

criant : « Malheur à vous, âmes perverses !

 

Quittez l’espoir de jamais revoir le ciel !

Je viens vous emmener à l’autre rive,

dans le noir éternel le gel, le chaud ! »

 Cercle 1 Paradis perdu (Enfances) : «Madame, moi aussi j'ai peur du loup.» (2014)

 Cercle 2 des Métamorphoses : déchirements et enfermement  (2011-2015)

La forêt comme le théâtre des métamorphoses,  où l'on entre par des chemins de traverse ;  lieu de rencontres étranges aux carrefours inattendus, lieu des peurs enfantines au détour d'un fourré un peu sombre ; lieu de toutes les métamorphoses possibles, celles de l'humain en végétal et de l'humain en animal ; où l'on ne sait plus ce qui est encore humain  et ce qui est animal dans cet étrange mélange où l'on peut être à la fois homme et bête ; où les passions les plus animales, les plus violentes, peuvent vous assaillir et faire de vous leur proie.
 

Ah, comment échapper à ses démons ?!

Qui, un jour dans une forêt, n'a pas été subitement étreint par l'angoisse de la perte et de la disparition ?
 

Véritable labyrinthe de branches entrelacées où l'on court le risque de perdre son chemin... se perdre "au milieu du chemin de notre vie" nous dit Dante ; se perdre exprès - par jeu ou par plaisir ? - dans le vertige de tous les chemins possibles… pour se trouver, peut-être, et par la voie de la peinture.

Ou se retrouver, tout simplement, dans la peinture, elle-même entrelacs de traces et de couleurs …

Métamorphose 1 : Narcisse

Désirer ce qui  ne peut s'étreindre, tel est le drame de Narcisse amoureux de son image : plus il s'approche de son image reflétée dans l'eau, plus il croit la saisir ; plus il veut la toucher, plus elle s'éloigne, inaccessible, et disparaît sous sa main.

Et Narcisse regarde son image, dans une incroyable tension, tension du désir de s'aimer, de se comprendre en se regardant, de se saisir de soi, désir « d'enfoncer le cristal avec l'espoir de renaître / Autre. », désirt jamais accompli ...

 

N'est-ce pas non plus le drame du peintre de s'éprendre d'une image dans laquelle il voudrait pouvoir tout mettre sur l'instant, synthèse idéale de toutes ses réflexions et sensations ; comme de ne pas pouvoir se détacher de l'image qu'il est en train de créer ? Narcisse comme la métaphore de l'acte de peindre ?

Métamorphose 2 : Actéon et ses démons.

Actéon, le chasseur condamné à être métamorphosé en cerf, est dévoré par ses chiens .

Métamorphose 3 : Le Minotaure

 

Un Minotaure pensif, se dévore, enfermé dans son labyrinthe intérieur, au fond des bois.

 

Mi homme, mi animal comme Actéon, le Minotaure est en soi un labyrinthe obscur ...

Est-ce que, tapi au fond de l'obscurité, le Monstre n'existerait que pour celui qui le regarde  et l'affrontera?

Gare à celui qui entrouvera la porte de son labyrinthe!

Cercle 3 : Au coeur de la forêt obscure (2015-2017)

 La peinture conçue comme une forêt obscure dans laquelle on se perd, on se débat, on n'y voit rien, on a peur de ce que l'on risque de voir surgir de l'obscurité, on espère un guide qui vous montrera la voie droite pour vous sortir de l'égarement… Ou plonger dans le noir pour espérer trouver la lumière au sortir de la forêt, s'il y a une issue... Comment savoir…

 

Quand j’eus un peu regardé alentour,

devant mes yeux j’en vis deux si serrés

qu’ils entremêlaient leurs chevelures.

« Vous qui vous étreignez, là, torse à torse,

qui êtes-vous  » leur dis-je ; et ils ployèrent

vers moi leur cou, et levèrent la face.

Dante,  Enfer, Chant XXXII, v 40-45

Cercle 4 : Métamorphoses du désir : Eros sylvain (2017)

Ravissements (ou rapts)

La forêt obscure,  comme le lieu de désirs, de ravissements ou de rapts : nymphes poursuivies, dans les Métamorphoses d'Ovide, par le désir violent des dieux,  et se métamorphosent  en végétaux pour leur échapper ; déesse au bain surprise par des chasseurs  tel Actéon, à moins qu'elle ne s'exhibe à plaisir au regard du voyeur pour hâter sa transformation en cerf?

Ovide, Métamorphoses, III, Actéon :

"Pendant que la Titanienne se baigne ainsi dans l'onde familière,

voici que le petit-fils de Cadmos, qui avait reporté sa chasse,

s'aventure d'un pas mal assuré dans cette forêt inconnue

et parvient au bois sacré ; ainsi le portait son destin.

 

Dès qu'il fut entré dans l'antre ruisselant de l'eau de la source,

les nymphes dénudées, dans l'état où elles étaient,

aperçurent le héros (...)

La couleur des nuages teintés par le soleil qui les frappe directement ou celle d’une aurore empourprée ressemblait au teint du visage de Diane, surprise sans vêtement.

(...)

Est-il vision plus folle que celle entre les feuillages écartés qui s’offre aux yeux d’Actéon ? Rêve-t-il vraiment si fort en plein midi, au son du cor ? Etait-ce le hasard ou le désir tâtonnant qui guidait ses pas dans la voie du salut, au sein de la malédiction ?"

Cercle 5  La sortie de La forêt obscure : Envol et chute d'Icare (2015-2017)

Qui nous guidera hors de la forêt obscure, « Pur et prêt à monter jusqu’aux étoiles » (Dante, Purgatoire, XXX)?

Alors, quelle autre sortie du labyrinthe, que prendre son élan et  courir pour s'échapper de la forêt obscure, par cet élan sortir de ce qui nous dévore ...

 

Icare, l'homme aux ailes, l'homme- oiseau, tel un ange, se met à courir à travers champs, avec l'espoir de s'envoler dans la plus grande ivresse pour étreindre la lumière en trouant l'obscurité, fendre l'espace enfin ouvert au risque de la chute.

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